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Décision du Tribunal Mixte des Nouvelles Hébrides |
TRIBUNAL MIXTE DES NOUVELLES – HEBRIDES
Affaire No 2510
|
Jugement No (B) 20/76
du 9 décembre 1976 |
HARRISSON RARUA
C/-
M P
J U G E M E N T
Audience publique du jeudi neuf décembre mil neuf cent soixante-seize.
Le Tribunal Mixte des Nouvelles-Hébrides, composé de :
MM.
Louis CAZENDRES, Juge Français, Président,
Louis Georges SOUYAVE, Juge Britannique,
Jean-Baptiste CYPRIEN, Assesseur,
en présence de M Jean ANDREUCCI, Procureur p i,
assistés de M. Pierre de GAILLANDE, Greffier,
s’est réuni le 7 décembre 1976 en audience foraine à LUGANVILLE (Santo) Nouvelles-Hébrides, pour statuer sur l’appel interjeté par Harrisson RARUA contre le jugement N°- 40/76 du Tribunal Indigène de la Circonscription des Iles du Nord, rendu le 6 août 1976, le condamnant à VINGT-CINQ ANS d’emprisonnement et 1.240 000 Fr NH de dommages et intérêts pour meurtre avec préméditation, commis le 6 juin 1976 sur la personne d’Alexis FORMOSAN.
En exécution des dispositions de l’article 13 de l’Arrêté du Tribunal Mixte du 17 septembre 1974 portant règlement de procédure d’appel des jugements des Tribunaux Indigènes, le Tribunal Mixte a décidé de procéder à la re-audition de l’affaire .
L’assesseur a été désigné avant l’audience conformément à la procédure prévue par l’Echange de Notes du ler juillet 1976, et après que l’appelant et le Ministère Public aient exercé, chacun en ce qui les concerne, le droit de récusation prévu par le texte sue-visé.
L’appelant était assisté de Me. Y. LOUISIA, avocat au barreau de Nouméa, et Me. R.E. WITHNELL, avocat au barreau britannique de Port-Vila, désignés en qualité d’Avocats des Indigènes ad hoc par lettre conjointe N° F.124/4/1 de MM. les Commissaires-Résidents, en date du 24 novembre 1976.
Madame Monique JEAN, secrétaire, demeurant à Luganville, Monsieur André LALOYER, capitaine de navire, demeurant à Luganville, Monsieur George BULE, demeurant à Luganville, interprètes pour l’idiome bichelamar, Madame Marie-José REDSTON, sans profession, demeurant à Luganville, et Monsieur Guy DEVOS, professeur, demeurant à Luganville, interprètes pour la langue anglaise, ont prêté serment conformément à la loi.
Les Conseils de l’appelant ont exposé les moyens de l’appel interjeté à la fois sur la déclaration de culpabilité et sur les peines, à savoir que les premiers juges ont :
1) retenu à tort la circonstance aggravante de préméditation;
2) qu’ils n’ont pas fait une appréciation exacte des circonstances atténuantes;
3) qu’ils ont prononcé à tort des dommages et intérêts dans le jugement prononçant la condamnation pénale, en violation de l’article 7 bis de l’annexe du Règlement Conjoint N°12 de 1962;
4) subsidiairement, que ces dommages et intérêts sont manifestement trop élevés.
L’appel interjeté formellement par l’avocat de l’appelant 1e 11 août 1976, dans les délais prescrits par l’article 4 du Règlement de Procédure du 17 septembre 1974, est recevable en la forme.
L’appelant a été entendu en ses explications, et a été interrogé par le Tribunal, ses Conseils et le Ministère Public.
Au cours de l’audition de l’appelant, le Tribunal a ordonné un transport sur les lieux auquel il a été procédé audience tenante, le 7 décembre 1976 à 11 heures. Le Tribunal, composé comme ci-dessus, accompagné de l’appelant et de ses conseils, assisté du Greffier, du Ministère Public et des interprètes, s'est transporté successivement: 1) à l’usine de la Compagnie Electrique de Santo, où 1’appelant a indiqué l’emplacement où il se trouvait lorsqu’il a aperçu Alexis FORMOSAN et conçu le projet de le tuer; l’emplacement où se trouvait Alexis FORMOSAN au même moment; le chemin qu’il (l’appelant) a parcouru pour surprendre la victime; l’endroit où il l’a surprise et où il a tiré le coup de feu mortel; les positions respectives du tireur et de la victime au moment précis du coup de feu; la façon dont la victime est tombée. Les indications données par l’appelant ont été reportées sur un plan joint au dossier de l’enquête.
2) Le Tribunal s’est ensuite transporté au domicile d’Harrisson RARUA, et a constaté qu’il est éloigné d’environ un kilomètre du club "Seven Stars", dans 1a direction opposée à celle de l’usine électrique; à proximité de ce domicile constitué par une maison isolée de petite dimension, se situe la maison occupée par Norman CARLOS, beau-frère de l’appelant, et John SIMBOLO, cousin de l’appelant.
3) Le Tribunal s’est ensuite transporté au club "Seven Stars". I1 a constaté que celui-ci est composé principalement d’une grande salle ouverte sur une cour privée, salle où sont disposés des billards et où se trouve la piste de danse. Un comptoir à usage de bar, fermé sur la partie supérieure jusqu’à hauteur du plafond par un fort grillage en bois, sépare cette salle d’une pièce où se tient le barman. Une porte se trouvant sur le côté du comptoir donne accès à cette pièce, qui communique par l’arrière avec une autre pièce divisée en deux par une cloison légère disposée en épi, et dans laquelle se trouvent deux lits de camp. Cette dernière pièce ouvre directement sur l’extérieur par une porte et deux fenêtres garnies de cooper-louvres qui ouvrent directement au-dessus des lits. L’appelant nous déclare que la disposition est la même que celle du jour du crime; seul un des lits a été rajouté depuis.
Les témoins cités par l’appelant ont été entendus et interrogés par les conseils de l’appelant, le Ministère Public et le Tribunal.
Un témoin cité par le Tribunal a été entendu et interrogé par le Tribunal, les conseils de l’appelant et le Ministère Public.
Les témoins cités par le Ministère Public ont été entendus et interrogés par le Ministère Public, les conseils de l’appelant et le Tribunal.
A l’issue des dépositions des témoins, les conseils de l’appelant ont été invités à présenter et développer leurs moyens, et ont été entendus en leurs plaidoiries,
Le Ministère Public a fait son réquisitoire,
Et l’appelant, en sa qualité d’accusé, a eu la parole en dernier, nul n’ayant été autorisé à prendre la parole après lui.
Sur quoi le Tribunal s’est retiré pour délibérer, et a rendu son jugement sur les motifs suivants :
Aucun témoin oculaire du crime et des circonstances qui l’ont immédiatement précédé n’ayant pu être découvert, la version des faits donnée par l’appelant a été examinée avec soin. Cette version est la suivante:
Le samedi 5 juin 1976, vers 21 heures, un group d’individus s’est présenté au club "Seven Stars",- dont il est l’un des propriétaires exploitants,- et a saccagé le matériel notamment les tables, les billards, les éclairages électriques. Dès le début de l’agression, il a téléphoné à la Police britannique, mais le téléphone étant en dérangement, il s'est rendu lui-même au poste de Police pour demander une intervention. A son retour, avec les policiers, 1es perturbateurs avaient quitté le club pour continuer leurs déprédations en un autre endroit (le cinéma F.K.C.). Il n’a donc pas noté quelles étaient les personnes participant à l’attaque, et en particulier n’a pas noté la présence d’Alexis FORMOSAN. Il déclare que ces faits se renouvelaient régulièrement tous les samedis soir depuis s quelques mois, et que parmi les agresseurs se trouvait très souvent Alexis FORMOSAN dont l’attitude était particulièrement agressive. Devant l’étendue des dégâts il a conçu une vive contrariété et après avoir, en compagnie de ses frères Roy et Graham RARUA et quelques autres dont il n’a pas pu donner les noms, procédé à une remise en état, il a quitté le club en compagnie de son frère Roy, chacun rentrant chez soi à pied; lui-même avait décidé ce soir-là d’aller rejoindre son épouse qui se trouvait chez un cousin demeurant au Paddock Britannique où avait lieu une fête de famille. Il ne donna pas suite à ce projet et rentra à son domicile où il se coucha. Réveillé vers 3 heures du matin, toujours préoccupé par les événements de la veille, il décida de se rendre au club pour vérifier s’il ne s’y passait aucun autre incident. Il se munit d’une carabine appartenant à son, frère Shem RARUA, et qui se trouvait depuis un certain temps à son domicile, dans le but de se protéger et d’effrayer d’éventuels perturbateurs. Il se rendit à pied au club où le calme régnait. Il essaya alors de réveiller les personnes qui dormaient dans la pièce derrière le bar, dans le but de se restaurer et de se faire conduire au Paddock Britannique en voiture; il désirait aussi y déposer la carabine. Il frappa à la porte de séparation de la salle de bal et du bar, et n'obtenant pas de réponse, décida de continuer à pied jusqu' au Paddock en conservant la carabine, car il ne voulait pas la laisser dans la salle ouverte. Il a déclaré n’avoir pas insisté pour réveiller les dormeurs, et n’avoir pas pensé à frapper aux autres ouvertures de la pièce où ils se trouvaient. Pour se rendre au Paddock il emprunta alors le chemin le plus court qui longe l’usine électrique. Arrivé à côté de celle-ci il aperçut, par une baie éclairée, Alexis FORMOSAN qui vaquait à ses occupations dans la salle des moteurs et qui, sortant par la porte principale, se dirigeait vers un hangar à proximité. Ayant identifié Alexis FORMOSAN, co-auteur des nombreux dommages infligés à son club, il en ressentit une violente colère et une envie irrésistible de le tuer le saisit. Il se mit alors à courir pour contourner 1’usine, se glissa sous une barrière en fil de fer ronce, longea un profond fossé situé derrière le hangar, franchit le fossé, et pénétra dans le hangar où Alexis FORMOSAN arrivait sans méfiance par le côté opposé. Quand Alexis FORMOSAN 1’aperçut, les deux hommes se trouvaient à environ deux mètres de distance. Alexis FORMOSAN eut un haut le corps de surprise et 1’appelant, mettant 1’arme sous l’aisselle, tira un coup de feu dans sa direction. FORMOSAN poussa un cri, se pencha légèrement en avant et s’écroula en arrière; 1’appelant réarma, immédiatement son arme pour achever son oeuvre, mais il constata assez rapidement que sa victime était morte. Il rentra alors chez lui, ne donnant pas suite à son intention de se rendre au Paddock, car il ne pouvait, dit-il, après ce geste, se retrouver en face de ses enfants.
Il confirma, à plusieurs reprises, tant à l’audience qu’au tours du transport sur les lieux, qu’il avait tiré le coup de feu avec l’arme sous le bras, en position debout, alors que la victime était elle-même debout, en position droite et lui faisant face. Il confirma, aussi que la victime était tombée en arrière et qu’il l’avait laissée à l’endroit et dans la position où elle avait été retrouvée le lendemain.
Il déclara aussi qu’il avait engagé le chargeur dans l’arme pendant qu’il courait vers le hangar, et armé à l’instant où il s’est trouvé en face de sa victime. Il déclara également qu’il ignorait que FORMOSAN travaillait à l’usine électrique, et, a fortiori, qu’il s’y trouvait à cette heure précise.
Le Tribunal ne peut admettre la version des faits donnée par l’appelant, et ceci pour plusieurs raisons :
Tout d’abord elle est contredite par les constatations médico-légales, confirmées sous serment à la barre par le docteur BIEHLMANN qui y avait procédé:
En effet la balle a pénétré dans le corps de la victime de haut en bas et de l’extérieur vers l’intérieur du corps. Après avoir pénétré légèrement au-dessus du mamelon gauche et traversé le coeur, elle est allée se loger contre la colonne vertébrale. L’angle de pénétration est de 20 degrés du haut vers le bas et de 40 degrés de l’extérieur vers l’intérieur : on peut en déduire d’une façon formelle deux hypothèses: soit que le tireur se trouvait placé plus haut que sa victime et à la gauche de celle-ci; soit que la victime ait eu au moment précis du coup de feu, le buste fléchi en avant et en torsion prononcée de la gauche vers la droite. Cette dernière hypothèse ne peut être retenue puisque l’appelant a à plusieurs reprises déclaré que sa victime était, au moment du coup de feu, en position droite et lui faisant face. La première hypothèse doit donc être retenue pour certaine, avec la conséquence que la victime était soit assise, soit couchée. De plus l’appelant déclare que, recevant le coup de feu, A. FORMOSAN s’est penché légèrement en avant et s’est écroulé en arrière de tout son long. L’expert déclare qu’il est très peu vraisemblable que si la victime s’est pliée en avant au moment du coup, elle ait pu tomber en arrière, la puissance de choc d’un projectile de 22 L.R. n’étant pas suffisante pour déséquilibrer un homme. Enfin la victime serait tombée allongée sur une planche de 6 pouces (15 cm) de large, et y serait restée parfaitement allongée, ce qui est aussi parfaitement invraisemblable. Enfin, la victime a été découverte allongée sur le dos, sur une planche de 15 cm de large et de 2 mètres de long; il n’est pas vraisemblable qu’elle soit tombée exactement sur cette planche.
Ces contradictions entre la version de l’appelant et les faits démontrent qu’il travestit gravement la vérité sur la façon dont il a tiré sur la victime, et sur l’endroit d’où il a tiré.
La déclaration de l’appelant, fausse sur ces points essentiels, ne peut donc être reçue dans son ensemble sans un examen attentif, et cet examen révèle d’autres contradictions avec les déclarations de certains témoins:
Ainsi il résulte des témoignages de Jo WALTON et de Graham RARUA que lorsque l’appelant a quitté le club vers minuit trente, Jo WALTON était présent. Ce dernier aurait pu parfaitement l’accompagner en voiture jusqu’au Paddock où il avait manifesté le désir de se rendre. Le témoin Roy RARUA ne confirme pas non plus être parti du club à cette même heure, en même temps que l’appelant, mais avant lui, car ce dernier avait manifesté l’intention de se rendre au Paddock.
Il ne peut être admis non plus que l’appelant, lorsqu’il dit s’être rendu au club vers 4 heures du matin le 6 juin, ait eu l’intention d’y déposer sa carabine et de se faire conduire en voiture jusqu’au Paddock, distant de plusieurs kilomètres. Il lui aurait été en effet facile, en raison de la configuration des lieux, de frapper à une des ouvertures proche des dormeurs et de réveiller 1’un d’entre eux, puisque selon les déclarations de Jo WALTON et de Graham RARUA trois personnes au minimum se trouvaient dans la pièce. Graham RARUA déclara que si quelqu’un avait frappé à la porte, il l’aurait entendu, et l’appelant déclare qu’il n’a pas pensé à frapper aux autres ouvertures. On peut tirer de ceci la conclusion que l’appelant n’avait pas 1’intention de déposer sa carabine au club, ni de se faire accompagner en voiture au paddock britannique, et que ce n’est pas par hasard qu’il s’est rendu à l’usine électrique.
Enfin, entre l’instant où l’appelant déclare avoir aperçu A. FORMOSAN dans l’intérieur de l’usine et celui où il a tiré sur lui, il s’est écoulé selon ses propres déclarations un laps de temps assez long et il a exécuté un certain nombre de manoeuvres destinées à lui permettre d’exécuter son acte dans les meilleures conditions de réussite. Cela seul est constitutif de la préméditation, dont les caractères sont : la décision arrêtée de tuer, un laps de temps entre la décision et l’exécution, et la préparation de l’exécution par un certain nombre d’actes.
En conséquence le Tribunal estime suffisamment établie la circonstance de préméditation.
SUR LES CIRCONSTANCES ATTENUANTES
Le Tribunal possède suffisamment de preuves que la victime avait joué un rôle prépondérant dans les troubles causés aux biens de l’appelant et de sa famille, depuis plusieurs mois. Il admet que la répétition de ces attaques, et surtout la gravité de celle du 5 juin au soir, aient pu faire naître chez un homme normal un sentiment à la fois d’insécurité et de colère et un désir de se protéger et de se venger.
Sans qu’ils puissent être considérés comme une excuse de provocation, les faits antérieurs au crime peuvent être admis comme circonstances atténuantes, sans que toutefois une telle admission puisse enlever au crime son caractère prémédité.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement et contradictoirement, en présence de l’appelant, des défenseurs et du Ministère Public,
Reçoit en la forme l’appel interjeté par Harrisson RARUA contre le jugement N-° 40/76 rendu le 6 août 1976 par le Tribunal Indigène de la Circonscription des Iles du Nord;
Au fond :
En ce qui concerne la déclaration de culpabilité : rejette ledit appel et confirme le jugement entrepris; déclare en conséquence Harrisson RARUA coupable de meurtre avec préméditation commis le 6 juin 1976 à Luganville sur la personne d’Alexis FORMOSAN;
En ce qui concerne la peine: reçoit l’appel, accorde les circonstances atténuantes et, reformant pour partie le jugement entrepris, condamne Harrisson RARUA à vingt (20) années d’emprisonnement;
Dit que l’appel sur les dommages et intérêts sera entendu au cours d’une audience civile et fera l’objet d’un jugement séparé;
Le tout en application des articles 8(b) et 7 bis de l’annexe du Règlement Conjoint N° 12 de 1962, de l’article 3 - 2) de l’Arrêté du Tribunal Mixte du 3 juillet 1951 portant Règlement de Procédure Civile devant les Tribunaux Indigènes, et de l’Arrêté du 17 septembre 1974 du Tribunal Mixte portant Règlement de Procédure d’Appel des Jugements des Tribunaux Indigènes en matière pénale.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique les jour, mois et an que dessus.
Le Juge Britannique :
L G SOUYAVE
Le Juge Français :
L
CAZENDRES
Le Greffier :
P de GAILLANDE
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